Mon dernier billet

Ronchon

 

Le 10 février 2024.

Ayant récemment présenté à une assemblée d’élèves le conte Hansel et Gretel des frères Grimm et ayant fait le parallèle avec les contes de Perrault ou d’Andersen, je m’installai pour assister à sa mise en musique par la Musique de la Garde municipale et les musiciens du Conservatoire. Emporté, je me laissai aller à rêvasser, passant en revue les différents personnages de contes connus de tous : Cendrillon, le Chat botté, la Petite sirène, Blanche-neige et les sept nains…

Les sept nains ! Parmi eux, un particulièrement avait toujours retenu mon attention : Grincheux. Grincheux toujours acariâtre, bougon, boudeur, grognon, ronchon, mais Grincheux finalement si sensible. Si grincheux parce que si sensible, certainement. J’éprouve une réelle tendresse pour Grincheux : l’on n’est pas grincheux sans motif. Est grincheux l’insatisfait, celui à qui une situation ne convient pas, qui souhaite mieux, pour lui ou pour les autres. Mais nombreux sont les grincheux, aujourd’hui, qui ne vont pas au-delà de leur état et ne passent pas du côté de ceux qui agissent pour tenter de faire mieux.

Une pensée poussant – ou tirant – l’autre, par analogie je pensai à un ami que nous qualifions affectueusement mais régulièrement de ronchon, voire de ronchonchon, ce qui, convenons-en, est bien plus mignon. Encore que le mot ronchon, avec ses deux nasales, soit évocateur, presque musical, « expressif par sa sonorité », dit mon compagnon Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française. En le consultant d’un peu plus près, j’apprends que c’est le grec rhunkhos (groin, museau, bec), qui a donné rhonkhos, latinisé en ronchus (croassement, ronflement), dérivé en roncare (ronfler), qui a vraisemblablement engendré notre ronflon niçois ou notre rougne niçoise.

En ce samedi pluvieux, m’autorisant le premier billet d’humeur depuis de longs mois, je vais donc ronchonner/rougner un peu. Non après le destin ou l’écoulement du temps qui a causé la disparition hier d’un homme aux mérites reconnus, mais plutôt après ce que je perçois comme un laisser-aller de notre société, tellement approximative dans l’usage de sa langue. Relisons le discours écrit et prononcé par Robert Badinter le 17 septembre 1981 : quoi que l’on pense du fond, le texte est remarquable de précision. Rares ceux qui, de nos jours, s’expriment aussi clairement et – disons-le - efficacement. Journalistes, politiques, personnes publiques de toutes natures pensent-ils nos concitoyens inaptes à comprendre ? Leur raisonnement est-il le même que celui qui consiste à proposer des émissions télévisées bêtifiantes et racoleuses ?

Je faisais part hier à une collègue enseignante de mon plaisir de l’entendre s’adresser à des élèves de cours moyen dans une langue soignée, édulcorée en aucune manière. Ne sous-estimons pas nos enfants. De même, ce n’est pas en méprisant le peuple que l’on s’attirera ses grâces. Ce n’est pas non plus en méprisant l’orthographe et la syntaxe que l’on se rendra plus sympathique. Il ne s’agit pas là d’élitisme, bien au contraire : il s’agit de dignité.

Alors, toi, mon ami ronchon, je partage ton insatisfaction, justifiée souvent, et comprends ton désir de mieux et de meilleur. Et si nous rêvions d’un monde de grincheux constructifs, respectueux de leur prochain, œuvrant au bien commun ? J’en entends déjà, en écrivant cela, d’aucuns grommeler : « Mais pour qui il se prend, celui-là ? » C’est un bon début. L’étape d’après, ce sera : « Je vais lui montrer, moi ! »

P.S. : Alexis HK, La maison Ronchonchon

 

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Pré-rentrée, qu'es acò ?

Le 2 septembre 2015.

Les médias se chargent de nous rappeler abondamment, s'il en était besoin, que profs, élèves et parents "rentrent". Et effectivement, il s'agit bien d'une répétition, sauf pour les néo-profs, pour les tout-petits et pour les jeunes parents. Je ne suis rien de tout cela, je "rentre" donc. Et pour un prof, avant la rentrée, il y a la pré-rentrée.

La différence ? Les élèves, tout simplement, puisqu'une pré-rentrée, c'est la veille de la rentrée, sans les élèves.

Alors, qu'es acò ? Une pré-rentrée, ce sont les retrouvailles avec les autres adultes exerçant dans l'établissement avec croissants et café au litre : récits de vacances, pannes de camping-cars, regrets du temps qui passe si vite pendant les vacances, craintes pour l'année à venir, manque d'enthousiasme ou au contraire satisfaction de s'y remettre...

Une pré-rentrée, c'est une réunion plénière avec discours introductif du chef d'établissement, présentation des nouveaux venus, sigles à foison (REP, PAP, PAI, PPS, EMC, EPI, EMI, ACMO...), approche de troubles ou handicaps particuliers, changements pour l'année à venir et notamment le Parcours Avenir, le Parcours d'Education Artistique et Culturelle, l'accompagnement pédagogique, le redoublement exceptionnel, l'évolution des instances pédagogiques, la réflexion à engager sur l'évolution de l'évaluation... "Vaste programme !", s'exclamait De Gaulle.

Une pré-rentrée, c'est une forme de résignation collective face à des axes de travail purement théoriques élaborés par de savants spécialistes en méta-langage qui élargiraient considérablement leur champ de compétences en rencontrant des profs, des chefs d'établissement et des... élèves.

Contrairement aux confortables idées reçues, tous les profs ne sont pas des profiteurs d'un système ayant choisi le métier par goût des vacances. Tous les profs ne se résument pas à leur adhésion MGEN ou MAIF. Tous les profs ne rechignent pas à réfléchir et à faire évoluer leurs pratiques professionnelles. Tous les profs ne quittent pas les lieux à la première sonnerie.

Nombre d'entre nous sommes utiles, bienveillants et disponibles. Nombre d'entre nous sommes simplement las que, de gouvernement en gouvernement, de fumeuses théories priment sur l'expérience et le bon sens ; que l'on empile les dispositifs ; que l'ego l'emporte sur l'utilité sociale ; que l'orgueil empêche le retour en arrière quand l'échec est évident. Bref : que l'on oublie l'élève.

Voilà donc ce qu'est une pré-rentrée pour nous les profs : une piqûre de rappel. Le rappel qu'il faut vraiment se recentrer sur l'élève pour tenir à l'écart les tenants d'un système qui voudraient nous en éloigner.

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