Discours de réception de l'insigne d'officier des Palmes académiques (2 mai 2024)
Monsieur le Maire, cher Christian ; Madame la Rectrice, chère Mme Chicot ; Monsieur le Directeur des services Départementaux de l’Education Nationale, cher Monsieur Le Mercier ; Monsieur le Directeur général du Centre Antoine Lacassagne, cher Professeur Barranger ; Madame la Directrice du Théâtre National de Nice, chère Muriel, et donc cher Gérard ; Monsieur le Directeur général de l’Office de Tourisme Métropolitain, cher JS ; Monsieur le Capoulié du Félibrige, cher Paulin ; Madame la Principale, chère Mme Pignatelli ; Mesdames et Messieurs les Présidents d’association ; Chers collègues élus ; Chers collègues enseignants ; Chers partenaires de tous horizons, de mon quotidien ; Cher Jean-Pierre Barbero, qui nous accueilles chez toi ce soir ; Chers amis, chers tous, car amic ; Vous ma famille.
Si nous sommes réunis ce soir, c’est parce que l’on a considéré que je méritais désormais d’être officier des Palmes académiques. Et pourtant, je suis parti de loin – nous l’allons voir tout à l’heure. Mais, contrairement à Raymond Devos qui affirme : « Moi, lorsque je n'ai rien à dire, je veux qu'on le sache. », moi, j’ai quelque chose à dire et je souhaite que vous le sachiez. Devant vous ce soir, il me revient donc le devoir et l’honneur de prononcer un discours de remerciements. Merci sera évidemment le fil rouge de ce propos.
Alors, mes amis, à tout seigneur tout honneur : je remercie notre Maire, tout d’abord. Un jour de septembre 2013, Monsieur le Maire, cher Christian, alors que nous nous connaissions par nos rencontres, lorsque tu venais assister aux pièces de notre Théâtre Niçois de Francis Gag, nous avons eu une longue discussion, à l’issue de laquelle tu m’as proposé de t’accompagner dans ton prochain mandat de Maire de Nice.
Discours de réception des Palmes académiques (5 décembre 2013)
Car amic, vous saludi,
Au moument d'alestì quauqu mot per aquesta cerimònia, mi siéu demandat : en nissart ? en francés ? Niçois ? Français ? Ai virat un pauc e – mi fa pena de lou vous dire – mi siéu decidat à vous parlà francés. En fach, se carculan ben, sian aquì en un encastre dounat dau Ministeri de l'Educacioun naciounala e "naciounala" vòu ben dire cen que vòu dire : la lenga de la Repùblica es lou francés. Siéu pas iéu que lou diéu, es l'article 2 de la Coustitucioun : " La langue de la République est le français ". Ainsi soit-il.
L'enseignement
Rien ne me destinait à l'enseignement. En tant qu'élève ou étudiant, mon parcours fut un peu chaotique, au lycée et au cours d'une première année universitaire. J'ai ensuite connu quelques moments dignes d'intérêt en classes préparatoires et en Ecole de commerce, mais pour autant, j'ai plutôt subi cette partie-là de ma vie.
Ce n'est qu'assez tardivement que j'ai choisi cette voie. J'imagine qu'à un moment de notre vie, nous nous interrogeons tous sur ce que nous en attendons. Cette interrogation s'est présentée à moi après trente ans lorsque, estimable Fondé de pouvoirs bancaire costumé et encravaté, devenu père de deux enfants, j'éprouvai le besoin de servir. Comme souvent, je saisis une heureuse opportunité : sur les conseils avisés d'un ami devenu "prof" lui-même, je perçus que cette voie conciliait mes multiples aspirations : être utile, aller au contact des jeunes, transmettre la langue et la culture niçoises et approfondir mon goût de la langue et des Lettres françaises. Le sacrifice financier accepté, restait à passer le CAPES Occitan / Lettres modernes. C'est ce que je fis, découvrant au passage avec bonheur la langue des troubadours, approfondissant et élargissant ma connaissance de ma seconde langue maternelle, le niçois. Dois-je avouer que le hasard m'amena, lors de l'épreuve orale de didactique, à tirer un sujet en lien direct avec le théâtre ?!...
Me voici donc à trente-quatre ans enseignant. Contrairement à ce que l'on peut entendre de-ci de-là, ce n'est pas un métier de fainéants. Bien au contraire, il nécessite un enthousiasme sans faille, une exigence et une remise en cause personnelles incessantes. Il est alors parfois source d'intenses satisfactions et d'émotions. Et c'est bien parce que j'en retire ce sentiment d'utilité et que j'aime autant cultiver ce lien si particulier avec mes élèves ou étudiants que je l'exerce toujours. Ayant aussi connu le lycée, les sections BTS et la formation continue à l'Université de Nice, en direction d'adultes souhaitant se remettre aux études et préparant pour cela le DAEU (Diplôme d'Accès aux Etudes Universitaires), je n'enseigne plus qu'en collège aujourd'hui.
Comme le théâtre et la politique, l'enseignement est aujourd'hui pour moi un engagement personnel, la marque d'une appartenance à la société humaine, le témoignage de ma contribution, modeste mais réelle. Et cet engagement est source de satisfactions profondes, ponctuées de marques de reconnaissance.
Notice biographique
Je suis un homme chanceux.
Très heureusement marié et père de deux enfants, je suis né à Nice en 1963 et j'y ai suivi toute ma scolarité, de l'école primaire St-Charles aux classes préparatoires (en fréquentant le collège Jean Giono, le lycée Masséna et l'IMES), avant de passer trois années à Sup de Co Marseille.
Dans cette continuité, j'effectue la première partie de mon parcours professionnel en tant que Fondé de pouvoirs en banque privée, à Nice, Monaco et Cannes. Gagné par l'ennui, je prends un virage en 1997 et obtiens un CAPES bivalent Occitan-Lettres modernes. J'enseigne avec plaisir, depuis, en collège, ayant aussi oeuvré en Formation continue à l'Université de Nice et en BTS au Greta.
Parallèlement, le théâtre, comme un fil rouge, est omniprésent dans ma vie : dès huit ans, guidé par ma famille, je monte sur scène avec le Théâtre Niçois de Francis Gag, ce que je fais toujours, au gré de mes envies, de mes disponibilités et des besoins de la troupe. Une sourde et lointaine envie m'amène à écrire et, de 2001 à 2019, onze de mes pièces seront présentées par le Théâtre Niçois.
Mon engagement politique est plus récent : à l'occasion des élections municipales de 2014, Christian Estrosi me sollicite pour oeuvrer à ses côtés et me confie non seulement le patrimoine historique, la langue et la tradition niçoises, mais aussi la littérature, la lutte contre l'illettrisme et le théâtre. J'accepte avec enthousiasme (lire mon discours). En 2020, je deviens Adjoint au Maire de Nice délégué à l'Education, au Livre, à la Lutte contre l'illettrisme et à l'Identité niçoise. A ces missions se sont ajoutées en 2022 des délégations à la Culture à l'école et aux Loisirs pour tous, ainsi qu'une délégation métropolitaine à l'Identité et aux traditions métropolitaines.
Je suis un homme chanceux, donc, parce que j'aime tout ce que je fais et si un quotidien dense ne me permet plus de consacrer le temps que je souhaiterais à l'écriture, j'ai la satisfaction de servir la collectivité : par l'enseignement à mes élèves ; par le plaisir qu'avec le Théâtre Niçois nous apportons au public ; par les projets et les causes que j'essaie de faire progresser à la Ville de Nice et à la Métropole Nice Côte d'Azur.
« Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles. » (William Shakespeare)
Pourquoi ces pages ?
Soudain mégalomane ? Brutalement narcissique ?
Je ne crois pas, non. Si tel était le cas, celle et ceux qui m'aiment m'auraient alerté. Au contraire, ils m'ont encouragé à franchir le pas.
Pourquoi ces pages, donc, pages par moi, pages sur moi ?
Parce que depuis mars 2014 puis juin 2020, élu de la République, je suis devenu - modestement, mais réellement - homme public.
A plus forte raison parce ma vie est multiple : professionnelle depuis bien longtemps, associative depuis toujours ou presque, politique désormais et... personnelle, un peu encore. Tout ceci s'entremêle aujourd'hui et, paradoxalement, j'en suis heureux. Je m'emploie même à faire le lien entre toutes ces composantes, chacune enrichissant l'autre.
Enfin, parce que l'on m'interroge fréquemment : "Allez-vous arrêter le théâtre ? - Mais vous enseignez toujours ?! - Comment fais-tu pour tout concilier ? - Quand écrivez-vous ? - Pourquoi la politique ?"
Pour tout cela, je me suis attelé à la création de ces pages, qui répondent, je l'espère, aux questions, qui expliquent et informent sur ce que je suis et ce que je fais, sur ce qui me guide et ce à quoi j'aspire. dans le respect des valeurs auxquelles je crois, loyal envers ceux aux côtés desquels je suis engagé. L'on y trouve notamment des billets (que j'essaie d'écrire régulièrement), des vidéos et des photos qui témoignent de mon activité, des écrits personnels et des sélections d'oeuvres que j'aime.
Moi par moi, quoi !
Soyez sages
Le 17 novembre 2022.
En ce 17 novembre, journée de la philosophie, qui se définit étymologiquement comme l’amour de la sagesse, me prend le sage désir d’écrire le présent billet. Nullement philosophe, j’éprouve en revanche une grande admiration pour certains d’entre eux. Parmi tant de sujets abordés, ils se sont notamment attelés à s’interroger, à nous interroger de tous temps sur l’éducation. Ce thème est majeur pour l’individu et pour la société, il me concerne en tant qu’homme, citoyen, parent, enseignant et élu local.
Dès l’Antiquité grecque, se sont opposés les idées des sophistes et celles de Socrate.
L’enseignant sophiste recherchait l’efficacité à court terme et l’intégration rapide de l’élève dans sa société. Par son aptitude à l’argumentation, par son éloquence, celui-ci acquerrait ainsi pouvoir, enrichissement et notoriété.
Socrate, lui, œuvrait plutôt pour un enseignement auquel l’élève guidé contribuerait, par son propre questionnement, par le dialogue interne et par l’acquisition de son expérience personnelle, transposée par lui-même du particulier au général. Il saurait distinguer seul le bien et le mal.
Rousseau, bien plus tard, s’inscrivit dans cette lignée : « Rendez votre élève attentif aux phénomènes de la nature, bientôt vous le rendrez curieux ; mais pour nourrir sa curiosité ne vous pressez jamais de la satisfaire. Mettez les questions à sa portée, et laissez-les lui résoudre. Qu’il ne sache rien parce que vous le lui avez dit, mais parce qu’il l’a compris lui-même. »
Cette opposition entre sophistes-utilitaristes et socratiques-humanistes (!) est toujours d’actualité. En matière d’éducation et d’enseignement, en effet, se pose la question du sens. Pourquoi ? Pour quoi ? Le système éducatif doit-il seulement viser l’accumulation de connaissances que l’élève réutilisera (recyclera ?) avec pertinence à son unique profit ? Doit-il élargir ses ambitions ?
Selon Erasme, « L’homme ne naît pas Homme, il le devient. » Le rôle de l’éducateur apparaît alors fondamental : éducateur autant qu’enseignant, il conduit l’élève vers l’âge adulte et vers son accomplissement.
Quant à Rabelais, qui prône par ailleurs l’harmonie du corps et de l’esprit, il fait lui aussi dire à Gargantua, dans une lettre à son fils Pantagruel, que « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » Le disciple doit apprendre, certes, mais en conscience, en s’interrogeant à partir de ce qu’il sait être.
D’ailleurs, « Savoir par cœur n’est pas savoir », affirme de son côté Montaigne, qui complète : « Qu’il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance ; et qu’il juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie. » Il illustre enfin son regard sur l’éducateur d’une métaphore mellifère : « Les abeilles pillottent de çà de là les fleurs, mais en font après le miel, qui est tout leur ; ce n’est plus thym ni marjolaine. » Le précepteur vu par Montaigne est total : enseignant, éducateur et formateur. Cette vision à long terme est évidemment conforme à sa conception même de l’être humain : « Il n’est rien si beau et si légitime que de bien faire l’homme et dûment. »
Haute idée de l’homme pour Blaise Pascal aussi, selon qui : « Toute notre dignité consiste donc en la pensée. »Et là encore, une métaphore universellement connue : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et (sait) l’avantage que l’univers a sur lui ; l’univers n’en sait rien. »* Cette grandeur nous oblige, nous adultes. Elle nous impose un devoir et une exigence, tant envers nous qu’envers nos jeunes.
Aristote, fondateur du Lycée, considérait l’éducation comme la formation de citoyens justes. Platon avant lui voyait en eux les gouvernants de demain. Si je partage ces visions, je mesure combien elles sont idéalistes. Notre société offre un système éducatif certes ambitieux mais écartelé par des injonctions contradictoires : financières, matérielles, juridiques, morales, médiatiques, politiques… Elles sont évidemment liées à ce qu’est notre société : réactive, violente, multiforme, rongée par les outils numériques, offrant d’immenses possibilités, confortable pour beaucoup mais terrible pour beaucoup aussi.
L’Education nationale, qui doit faire face à cela – et pas seulement, malheureusement - s’appuie sur le Code de l’éducation :
L’article L121 affirme les principes selon lesquels : « Les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d'enseignement supérieur sont chargés de transmettre et de faire acquérir connaissances et méthodes de travail. »
De même, l’article L122-1-1 définit les objectifs et missions suivants : « La scolarité obligatoire doit garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l'acquisition d'un socle commun de connaissances, de compétences et de culture […] Le socle doit permettre la poursuite d'études, la construction d'un avenir personnel et professionnel et préparer à l'exercice de la citoyenneté. »
Enfin, l’article L122-4 : « L'Etat assure ou encourage des actions d'adaptation professionnelle au profit des élèves qui cessent leurs études sans qualification professionnelle. »
Dans ce code, des principes, des objectifs, des missions louables : de l’éducation et de la réussite pour chacun mais aussi pour le bien de la collectivité. Au quotidien, en revanche, quand les ambitions se confrontent à la réalité, les choses se compliquent pour l’enseignant : diversité des niveaux, des contextes sociaux, culturels et familiaux, manque de temps, classes surchargées… Il lui appartient alors de s’adapter et « d’observer sans cesse » (P. Meirieu), pour permettre à chaque élève de progresser, de trouver sa place et de se trouver lui-même, alors qu’il n’est pas nécessairement conscient de l’enjeu.
N’hésitons pas, en conséquence, à les inviter à être sages.
Soyez sages, les enfants, suivez donc le conseil de Boileau :
Soyez plutôt maçon, si c'est votre talent,
Ouvrier estimé dans un art nécessaire,
Qu'écrivain du commun et poète vulgaire.
Soyez sages, les enfants, suivez donc le conseil du laboureur de La Fontaine :
Travaillez, prenez de la peine.
Soyez sages, les enfants, entendez donc les regrets de François Villon dans son Testament, après une vie d’errance :
Hé! Dieu, si j’eusse étudié
Au temps de ma jeunesse folle
Et à bonne mœurs dédié,
J’eusse maison et couche molle,
Mais quoi ! je fuyoie l’école
Comme fait le mauvais enfant ;
En écrivant cette parole,
A peu que le cœur ne me fend.
Un jour, peut-être, devenu hommes et femmes épanouis, riches de votre enseignement et de votre propre réflexion, pourrez-vous affirmer comme Montaigne : « Pour moi donc, j’aime la vie.»