Carnet Moleskine

Le 16 février 2020.

Je me suis offert un carnet Moleskine ! En soi, me direz-vous, rien d’extraordinaire, ce n’est qu’un carnet… Certes, mais il fait désormais partie de la liste des objets que je passe en revue le matin avant de partir : téléphone, stylo, portefeuille, clés...

Longtemps j’ai immodestement pensé qu’il serait pertinent d’avoir un carnet sur moi, dans lequel noter sur l’instant toutes ces idées géniales que ne cesse de produire mon cerveau dérangé. L’âge venant et l’expérience affinant ma lucidité, j’avais abandonné ce projet : combien d’idées méritent-elles d’être notées ? Objectivement peu. Exit le carnet, donc.

Et puis voilà qu’un personnage atypique et perspicace me suggère, au cours d’une bienveillante conversation sans concessions sur l’importance du plaisir, de me doter d’un carnet qui serait un aide-mémoire. J’y inscrirais sur le vif les bons moments de la vie.

N’étant pas par nature un jouisseur mais plutôt un observateur, je commençai par balayer la saugrenue proposition. Et puis, la graine étant semée, je portai un regard plus attentif sur mon quotidien, y reconnaissant finalement matière à noircir les pages d’un potentiel carnet, que j’achetai donc à prix d’or. (Je crois bien que le fabricant nous fait payer l’orgueil de notre identification à ces écrivains qui auraient prétendûment fait usage du fameux carnet Moleskine !)

Je recherchai dans la foulée dans mon Robert historique l’origine de Moleskine : j’y trouverais certainement l’origine de ce patronyme à la tonalité russe. Que niet ! Mole skin : peau de taupe, désigne une toile de coton enduite imitant la graine de cuir. Rasséréné sur la préservation de ce petit animal qui m’est si sympathique par sa myopie, je peux donc inscrire à loisir mes plaisirs du quotidien. Il est rare, d’ailleurs, qu’une journée ne me fournisse un motif d’écriture. De quoi offrir des perspectives au pessimiste actif que je suis…

En revanche, je garde à l’esprit les mots de Flaubert dans sa correspondance à Louise Colet (1853) : Il faut se refermer, et continuer tête baissée dans son oeuvre, comme une taupe. Et au passage, je ne résiste pas au plaisir de rappeler le regard de ladite Louise sur les Niçois dans L’Italie des Italiens :

« Je constatai […] dans les hommes du peuple qui passaient la beauté du type italien et l’aménité de ce peuple toujours doux et poli ; on dirait que, si longtemps malheureux, il sollicite de tous la protection et la bienveillance ; déjà ce n’était plus la race française, grêle, pétulante, audacieuse, enjouée, mais, osons le dire, un peu trop sûre d’elle-même, poussant l’esprit jusqu’à l’insolence et la conviction de sa force jusqu’au dédain des autres nations. »

Fort de ma beauté et de mon aménité, je note ce petit plaisir dans mon carnet Moleskine…

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